Comprendre l'addiction


Qu’est ce qu’une addiction ?

1) Présentation générale

L’addiction se caractérise par :

  • l’impossibilité répétée de contrôler un comportement visant à produire du plaisir ou à écarter une sensation de malaise interne
  • la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives

On parle d’addiction :

  • lorsque le besoin l’emporte sur le désir
  • lorsque la sensation remplace l’émotion et la relation
  • lorsqu’un produit ou un comportement envahit le champ des plaisirs possibles et devient prioritaire et impérieux pour obtenir du plaisir ou apaiser une tension
  • lorsque la passion l’emporte sur la raison

De très grands progrès ont été faits dans la connaissance des mécanismes neurobiologiques, permettant une bien meilleure compréhension du fonctionnement psychologique. Les facteurs de vulnérabilité individuels et sociaux sont de mieux en mieux connus. Et cet ensemble permet de proposer des stratégies de prise en charge, comme  une organisation du dispositif de soins de plus en plus performante. De nombreux médicaments sont également en train apparaître.

Toutefois la perception sociale et politique n’est pas à la hauteur de la gravité des problèmes. Et, si tous les acteurs sont en phase pour une réduction pragmatique des dommages, les politiques publiques sont insuffisantes sinon parfois contradictoires, car le plus  souvent inspirées par des représentations idéologiques. Ce travail d’appropriation des connaissances scientifiques par la société, s’appuyant sur les associations de patients, nous parait être l’enjeu des prochaines années. Il sera nécessaire pour que les politiques puissent être plus efficaces.

2. Les définitions médicales 

On distingue classiquement deux types de dépendance : une dépendance psychique et une dépendance physique. Les symptômes en sont différents, et les traitements qui doivent être mis en place pour les soigner peuvent aussi varier.

 « L’impossibilité de s’abstenir de consommer » Pierre Fouquet

La dépendance, qui se confond avec l’addiction, se traduit essentiellement par la dépendance psychique, plus cruciale que la dépendance physique : elle pousse à consommer à nouveau et mène à la rechute.

Il est commun de distinguer :

  • la dépendance psychique définie par le besoin de maintenir ou de retrouver les sensations de plaisir, de bien-être, la satisfaction, la stimulation que la substance apporte au consommateur, mais aussi d’éviter la sensation de malaise psychique qui survient lorsque le sujet n’a plus son produit (le sevrage « psychique »). Cette dépendance psychique a pour traduction principale le craving ou recherche compulsive de la substance, contre la raison et la volonté, expression d’un besoin majeur et incontrôlable que l’on pourrait traduire familièrement par « j’en crève d’envie ».
  • la dépendance physique définie par un besoin irrépressible, obligeant le sujet à la consommation de la substance pour éviter le syndrome de manque lié à la privation du produit. Elle se caractérise par l’existence d’un syndrome de sevrage (apparition de symptômes physiques en cas de manque) et l’apparition d’une tolérance(consommation quotidienne nettement augmentée).

Les classifications internationales actuelles insistent sur l’approche dimensionnelle de l’addiction (DSM5) : le sujet présente une addiction plus ou moins grave, selon le nombre de symptômes présentés dans une liste de 11 items regroupant l’abus et la dépendance.

Les schémas ci-dessus illustrent le passage d’une classification en catégories d’usage (abus/usage nocif et dépendance) à une classification par gravité progressive (de modérée à sévère)

Un test a été mis en place, à partie de ces critères, pour évaluer la gravité de l’addiction.

Cette nouvelle approche, dimensionnelle, permet de justifier l’utilité d’interventions et de programmes de soins gradués, allant de la simple intervention brève à la  prise en charge globale médicopsychosociale. Elle justifie également les stratégies thérapeutiques allant de la simple réduction de consommation à l’abstinence.

3. Facteurs de risques 

Nous ne sommes pas égaux face aux addictions. le risque d’en développer une est lié à une combinaison de facteurs sociaux et individuels, associés aux risques propres du produit. L’addiction est donc toujours une interaction entre les facteurs liés aux produits, à l’individu et à l’environnement.

4. Femmes et addictions

La femme dépendante aux substances psychoactives dérange. Chez l’homme, déjà, l’addiction n’a pas bonne presse mais chez la femme, l’effet de stigmatisation se décuple.Il faut pourtant aborder la question si l’on veut être efficace en matière de lutte contre les conduites addictives. Les femmes sont les grandes absentes des structures de soins en addictologie.

5. Comprendre les mécanismes neurobiologiques 

L’addiction a les caractéristiques d’une pathologie chronique, d’installation progressive, avec une évolution émaillée de rechutes, et dont la survenue est déterminée par des facteurs de vulnérabilité.

Dans le processus addictif, les modifications progressives du comportement de consommation s’inscrivent progressivement dans le temps :

  • initialisation à travers l’impact hédonique positif, le plaisir pris à la consommation (récompense, « liking »)
  • poursuite des comportements de consommation par les habitudes s’appuyant sur des automatismes mentaux (apprentissage, conditionnement, « learning »)
  • consommation pour éviter les conséquences émotionnelles négatives, plutôt que pour la recherche vaine de l’effet plaisir initial (survalorisation cérébrale de la consommation, « wanting »)
  • perte de contrôle de la consommation avec besoin compulsif de consommer (« craving »)

Comprendre les mécanismes neurobiologiques :

1. Installation de l’addiction 

De l’usage simple et festif à l’addiction

L’addiction a les caractéristiques d’une pathologie chronique, d’installation progressive, avec une évolution émaillée de rechutes, et dont la survenue est déterminée par des facteurs de vulnérabilité.

Dans le processus addictif, les modifications progressives du comportement de consommation s’inscrivent dans une temporalité :

  • une initialisation à travers l’impact hédonique positif (récompense, « liking »)
  • la poursuite des comportements via les automatismes (apprentissage, conditionnement, « learning »)
  • les conséquences émotionnelles négatives plus que par la recherche vaine de l’effet initial (saillance incitative, « wanting »)
  • la perte de contrôle de la consommation

On peut donc considérer schématiquement, avec P-V. Piazza, que ce processus se déroule en trois étapes :

  • La première étape est une phase non pathologique de prise de drogue où l’individu fait un usage récréatif de la drogue. Cette phase correspond au moment où la prise de produit est, pour l’individu, une activité récréative parmi d’autres. La consommation n’occupe qu’une faible part de son répertoire comportemental. Ceci peut être considéré comme un comportement « normal » qui existe dans une large proportion de la population humaine, et ce qu’ils s’agissent des drogues légales ou illégales.
  •  La seconde étape, l’usage intensif, soutenu et en augmentation commence par une augmentation de la fréquence, de la quantité de drogue consommée, ainsi que de la motivation pour cette dernière. La prise de drogue s’intensifie et devient soutenue. De plus, des problèmes liés à l’usage apparaissent mais ne sont pas suffisamment importants pour toujours susciter des tentatives d’abstinence. Cette seconde étape est la première phase pathologique modérée, au cours de laquelle l’individu consomme trop de drogue, mais son comportement reste organisé et il est généralement bien intégré dans la société. Tous les patients ayant un usage intensif n’évolueront pas vers la dépendance comme viennent le confirmer diverses études de suivi. Pour les patients qui deviendront dépendants, il convient de s’interroger sur les conditions de l’installation de cette dépendance : il existe, pour les sujets qui deviendront dépendants une installation progressive et de plus en plus impérieuse de la dépendance psychique, du craving. Il y a donc bien une zone de transition (ou de passage progressif) et donc d’imprécision entre usage nocif et dépendance.

De façon schématique, on pourrait ainsi considérer qu’il existe, à cette phase, deux grands sous-groupes de patients : – un premier groupe dans lequel on retrouve des facteurs de risque d’évolution vers la dépendance; dans ce groupe, la consommation intensive et répétée correspond à une phase préliminaire, souvent courte, de la dépendance qui en constitue l’évolution logique – un second groupe dans lequel les facteurs de vulnérabilité à la dépendance sont peu nombreux ; mais, à l’inverse, les facteurs d’environnement, d’entraînement sont présents. Dans ce groupe, le retour à une consommation contrôlée est beaucoup plus fréquent, notamment lorsque la pression à la consommation décroît (avancée en âge, installation en couple…) ou qu’une démarche de soin est entreprise (une plus grande efficience des interventions brèves dans ce sous-groupe est vraisemblable)

  • La troisième et dernière étape de ce processus amène  à l’état pathologique le plus grave. Dans ce cas, l’individu perd largement le contrôle de sa consommation de drogue et devient dépendant (ou présentant pleinement une addiction sévère pour le DSM V). Lors de cette phase, la prise de produit devient l’activité  principale de l’individu, envahissant la quasi-totalité de l’espace normalement occupé par d’autres composantes de son répertoire comportemental. La dégradation de sa vie sociale devient alors inévitable et les rechutes, même après une période d’abstinence prolongée, deviennent malheureusement la règle.

Comment la recherche de plaisir se transforme en besoin

La consommation répétée entraîne des modifications cérébrales fonctionnelles et structurelles de plusieurs neurocircuits, dont ceux de la récompense mais surtout ceux impliqués dans la gestion des émotions, de l’humeur, de la motivation et des apprentissages pouvant affecter les habitudes comportementales et les capacités d’adaptation. Petit à petit, ces modifications changent les propriétés motivationnelles des produits : s’ils ont été pris initialement par plaisir, ils le sont ensuite essentiellement par besoin, avec d’importantes routines comportementales liées à des conditionnements, des automatisations et une perte de flexibilité cognitive.

       Les résultats sur le cerveau et sur les modes de consommation

Le nouveau répertoire comportemental est alors dominé par une perte progressive du contrôle, les consommations devenant fréquentes avec une incapacité à les limiter. Il s’y associe des pensées obsédantes vis à vis du produit, une recherche et une consommation compulsive avec un besoin impérieux (craving) de reproduire la sensation plaisante initiale mais surtout d’apaiser un mal être, la nécessité d’augmenter les doses pour retrouver l’effet initial, et la poursuite de cette consommation quelles que soient les conséquences sous peine d’une souffrance psychique voire physique. Ces modifications persistent même après un arrêt de longue durée, elles sont à l’origine des rechutes fréquentes et impliquent des processus relevant de perturbations de la mémoire.

Les différents mécanismes neurobiologiques qui mènent à l’addiction

Pour expliquer cette installation progressive de l’addiction, quatre grands mécanismes complémentaires, qui se déroulent et se renforcent parallèlement, sont nécessaires :

  • la sensibilisation motivationnelle : la saillance de la récompense (augmentation progressive de la motivation à consommer)
  • l’apprentissage des habitudes : comportement automatique non lié à un effet recherché mais qui passe en mode stimulus-réponse
  • l’allostasie hédonique : état émotionnel négatif lié à un déficit d’activation du circuit de la récompense, avec augmentation du seuil
  • le déficit de contrôle inhibiteur (atteinte des fonctions exécutives) : perte du contrôle intellectuel « raisonnable », effectué par le Cortex Pré-Frontal

2. Fonctionnement du cerveau d’un addict

 Chez le sujet addict, il y a une survalorisation de l’objet du désir. Sa valeur « récompensant » le souvenir de celle-ci entraîne une motivation majeure : le simple désir est devenu besoin. Le contrôle cortical, raisonnable, est trop limité pour tenir compte du contexte et des conséquences.

Ces quatre grands mécanismes complémentaires s’appuient sur quatre circuits qui interagissent et sont interconnectés :

  • le circuit de la récompense (reward)
  • le circuit de la motivation : la saillance
  • les voies de la mémoire et des habitudes conditionnelles
  • le contrôle par le cortex pré-frontal, intellectuel et exécutif

Auxquels viennent s’ajouter, au fur et à mesure que la dépendance s’installe :

  • la perception des états internes analysant le besoin et qui va jusqu’au craving (besoin compulsif de consommer) : insula
  • le circuit de l’évitement et de l’angoisse : l’habenula et l’amygdala

En situation normale, l’équilibre entre ces quatre circuits aboutit aux actions adaptées à notre situation émotionnelle ou de besoin. Le circuit de la récompense donne la valeur d’un besoin, celui de la motivation donne la valeur d’un besoin et répond aux états internes, celui de la mémoire met en jeu les associations apprises et celui du contrôle permet de résoudre les conflits. Chez le sujet normal, la décision d’entreprendre une action vers un but désiré tient compte de l’importance de la motivation pour cet objet, fonction de sa valeur de récompense, elle-même liée au souvenir du plaisir qu’il a entraîné précédemment. Mais, en fin de compte, c’est le contrôle cortical, préfrontal qui évaluera, en fonction du contexte et du désir anticipé et mémorisé, s’il convient d’agir ou de différer l’action.

En cas d’addiction, on assiste à un renforcement de la valeur du produit, aussi bien par la survalorisation du besoin (la saillance) que dans la motivation à s’en procurer, et à l’envahissement des circuits de mémoire avec déconnexion au moins partielle du circuit de contrôle inhibiteur exercé au niveau du cortex préfrontal par les associations corticales. Cela permet de mieux comprendre les attitudes psycho comportementales des sujets dépendants : le cerveau devient hypersensibilisé à la drogue et aux stimuli environnementaux qui lui sont associés, accorde beaucoup moins d’importance aux autres intérêts, objectifs et motivations devenus secondaires par rapport au besoin obsédant du produit.

Les informations qu’envoie tout le cerveau, valeur majeure de la récompense (nucleus accumbens), saillance majeure et donc motivation majeure (cortex cingulaire et cortex orbito frontal), mémoire exacerbée du plaisir (hippocampe) auquel se surajoute le craving (insula), sont devenues impérieuses, correspondant à un besoin perçu comme nécessaire, absolu et vital.

Tout le cerveau est désormais programmé pour reconnaître ce besoin comme primordial. Le contrôle « raisonnable » n’arrive plus à s’exercer, à contrebalancer ces informations de besoin majeur exigeant une action immédiate du cortex préfrontal pour le satisfaire.

 

Fonctionnement d’un cerveau non-addict (à gauche) et addict (à droite) :

⇒ Le cerveau addict n’est plus en mesure de choisir de consommer ou non le produit.


Sources : https://www.addictaide.fr/